Lundi 23 mars 1 23 /03 /Mars 22:20

II

 

 

 

 

 

 

 

     Pour se réveiller en sursaut.

    Il faisait déjà pleinement jour.

    Et ce n’était pas la seule chose qui la frappa.

    Son lit. Elle n’était pas dedans mais dessus, comme si elle s’était assoupi sur les draps. Il était en bois massif, avec des montants sculptés et les draps  étaient bordés de dentelle. La pièce où elle se tenait. Ce n’était plus sa chambre mais celle d’un manoir, d’une riche demeure de campagne, avec des meubles précieux et une liseuse en velours à côté de son lit. Enfin, sa tenue. Une robe comme en portait les femmes de jadis, faite de broderies, de dentelles et de jupons.

    Eugénie ne comprenait pas vraiment ce qui se passait ni où elle était. Une autre époque, un autre lieu mais pourtant elle ressentait avec acuité le monde autour d’elle.

    En se redressant, elle vit la croix dorée qu’elle portait autour du cou et qui disparaissait entre ses deux seins généreux. Cette vue la fit sourire. Elle aimait ses seins et les voir dans cette robe d’aristocrate lui plaisait singulièrement. Elle contempla

    « Eugénie, ma fille, nous vous attendons. »

    La voix de sa mère se fit entendre de nouveau. C’était elle qui l’avait tiré de son assoupissement.

    « Oui mère, j’arrive. Veuillez m’excuser. »

    Le vouvoiement et la voix déférente lui vinrent sans mal, comme s’il en avait toujours été ainsi. Elle fut juste surprise après coup, comme si  elle remarquait ces mots pour la première fois.

    Toute sa famille l’attendait dans le vestibule de leur manoir. Les trophées de chasse de son père ornaient l’imposant escalier. Comme à son habitude, elle effleura la peau du renard accroché au-dessus des premières marches. Les murs étaient tapissés de boiseries cirées et brillantes. La lumière inondait la vaste pièce à travers deux grands vitraux représentant des ancêtres de la famille. Eugénie avait la drôle d’impression de découvrir des choses qu’elle connaissait depuis toujours.

    Leur chien attendait sous la petite table à droite des portes. Son père arborait une de ses tenues dominicales qui mettait en valeur sa puissante stature et ne laissait pas de doute sur son positionnement social. Sa mère portait une belle robe vert pastel. Une ombrelle délicate et entrelacée pendait nonchalamment à son avant-bras. Ses deux frères ressemblaient à deux petits chasseurs plein d’une superbe enfantine.

    « Nous prenons la calèche ou bien nous partons à pied du manoir ? demanda-t-elle à son père ?

    - La calèche. Je voudrais voir le grand chêne derrière le hameau des Essarts. Félicien m’a dit que la foudre l’a frappée lors de l’orage de jeudi. Cela me ferait mal que de perdre une telle force de la nature. »

    - La calèche. Je voudrais d’abord voir le grand chêne derrière le hameau des Essarts. Félicien m’a dit que la foudre l’a frappée l’autre jour. Ce serait dommage de perdre une telle force de la nature. 

    - La calèche ? En êtes vous sûr, Henri ? s’enquit son épouse, déjà fort sceptique.

    - Madame, n’ayez crainte. Je roulerais sans heurts. Vous serez aussi bien dans la calèche que dans votre fauteil favori, je m’en porte garant. »

    Eugénie savait qu’il n’en serait rien. Son père aimait trop lancer ses chevaux de par les routes de leurs domaines. Même s’il était présentement de bonne foi, il oublierait sa promesse dès qu’il aurait les rênes entre les mains.

    Quelques instants après, toute la famille était assise derrière le père, fouet en main. Il avait sorti ses deux plus beaux chevaux pour l’occasion. Il venait de les acquérir et voulait les connaître un peu mieux. En les voyant harnachés à la calèche, sa mère poussa un soupir de résignation que son mari n’aperçut pas.

    A peine eut-il franchi les grilles de leur demeure qu’il lança son équipage sur le chemin de terre, pour le plus grand plaisir de ses deux enfants, et au grand dam de sa femme. Ses appels pour tempérer l’allure de la calèche restèrent lettre morte. Son mari n’en fit qu’à sa tête et mena l’attelage tambour battant tout du long.

    Autour d’eux, le paysage ne portait aucune trace du puissant orage qui avait traversé la région deux nuits auparavant. Nulle ornière gorgée d’eau, nulle branche en travers de la route et de rares épis de blés couchés.

    Eugénie, indolente, portée par la clémence de cette journée de printemps, se laissa aller à de douces rêveries, la main par dessus le rebord de la calèche pour sentir l’air sur sa peau et la caresse du vent sur son visage. Bercées par un délicieux flottement de sa réalité, ses pensées erraient avec insouciance dans son esprit, ne s’attardant sur aucune idée précise. Eugénie savourait le moment présent dans toute sa simplicité. L’instant était propice aux plus douces rêveries.

     Quand son père tira sur les rênes , elle ferma les yeux pour les rouvrir rapidement et redresser son corps tout entier.

    « Déjà ? demanda-t-elle comme quelqu’un qui se réveille.

    - Oui, ma fille. Déjà. On dirait que mes deux purs-sangs n’aiment faire traîner leurs sabots. Je ne m’en plaindrais pas. »

    Un chêne majestueux était planté à quelques pas devant eux. Il dominait la forêt en imposant sa masse de feuilles et de branches.

    Eugénie descendit de la calèche puis leva la tête pour contempler l’arbre. Sa force, sa puissance la fit frissonner. Dressé vers le ciel, tendu, parcouru par sa sève nourricière, il dégageait une force qui la troublait presque. Elle remarqua à peine ses deux frères qui se chamaillaient pour une broutille autour d’elle. Elle ne sentit pas que le bas de sa robe s’était taché de terre contre le garde boue crotté en descendant de la calèche. Non. Elle était toute entière subjuguée par le chêne qui trônait fièrement devant eux en envoyant ses feuilles à plus de trente mètres de haut.

    Mais ils n’étaient pas seuls. Leur garde forestier était là, ainsi que l’un des plus importants tenanciers du village voisin. Ils interrompirent leur discussion en voyant la calèche de leur maître arriver. Ils vinrent lui présenter leurs hommages. Eugénie savait que son père appréciait le garde forestier mais méprisait le paysan pour son obséquiosité et son regard fuyant. Le regard d’un fourbe sans scrupule, aimait-il à dire.

    Rapidement, la discussion quitta l’arbre que la foudre avait balafré sans causer trop de dégâts pour aborder un litige opposant le tenancier à un autre habitant du village.

    Eugénie s’éclipsa sans peine, prétextant une envie de faire quelques pas pour se dégourdir les jambes. 

Par Chevalier de Ferreol
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