Lundi 23 mars 1 23 /03 /Mars 22:17

I

 

 

 

 

 

 

 

 

     Ce dimanche soir-là, avant de se coucher, après s’être dévêtue, Eugénie resta longtemps devant la glace de la salle de bain qu’elle partageait avec ses frères et sœurs. Nue, elle détailla son corps avec attention, froidement, durement presque. Ce qu’elle voyait ne lui plaisait guère.

     Eugénie trouvait ses seins lourds et sans originalité dans leur forme. Ses épaules lui semblaient légèrement dissymétriques et son nombril un peu trop saillant. Elle plissa entre ses doigts la peau de son ventre pour faire apparaître de maigres bourrelets qui lui arrachèrent un sourire de commisération. Elle tendit ses bras pour voir ses muscles, qu’elle trouva trop inexistants à son goût. Elle n’osa se tourner de peur de ne pas apprécier ses fesses ou la cambrure de ses reins.

     Elle baissa ensuite la tête pour détailler le bas de son corps, qu’elle ne pouvait apercevoir dans le miroir. Sa féminité était immédiatement visible car nulle toison ne masquait son sexe. Ses lèvres intimes formaient un pli disgracieux coincé entre ses cuisses. Ses doigts de pieds lui semblèrent être le comble du ridicule. La forme de ses chevilles, avec la boule trop visible de la rotule, lui fit hausser les épaules.

     Puis Eugénie redressa la tête pour se dévisager. Elle se fixa de longues secondes sans ciller. Elle vit un regard qui manquait d’assurance et de personnalité. Son visage ne lui inspira pas plus de tendresse que le reste de son corps. Une bouche non pas pulpeuse mais charnue, un nez non pas mutin mais drôle. Elle n’essaya même pas de sourire car elle n’aurait vu qu’une grimace. D’un geste soudain, elle éteignit la lumière, en laissant son doigt tendu sur l’interrupteur. L’obscurité lui fit pousser un soupir de soulagement. Elle retira son doigt puis, à tâtons, attrapa son peignoir qui était pendu à la porte, sur ceux de ses frères et sœurs. Elle resta de longues minutes dans le noir, appuyée des deux mains sur le rebord du lavabo, dans un léger mouvement de balancier.

     Qu’elle jette sur son corps un tel regard était le meilleur témoin de son état d’esprit car elle savait pertinemment qu’elle était belle et désirable, que son corps attirait les regards. Bien qu’âgée seulement de dix sept ans, Eugénie avait déjà une longue expérience en matière de remarques masculines plus ou moins élégantes, plus ou moins bien placées. Ses imperfections – aussi nombreuses que bénignes – participaient à son charme aussi sûrement que ses courbes.

     Donc ce jugement porté à son encontre était la partie visible de son amertume et de sa contrariété. En effet, Les semaines qui venaient de s’écouler avaient été particulièrement riche en désagréments. Elle ne trouvait aucune chaleur dans son existence pour réchauffer le regard qu’elle portait sur son corps.

     Sa grand-mère, une fontaine de joie et de bonne humeur, l’avait quitté il y a un mois. L’avait quitté et non les avait quitté car l’amour qu’elle se portait dépassait de lion celui qui existait entre sa grand-mère et ses parents ou ses oncles et tantes. Son rire avait résonné dans toute son enfance. Sa cuisine avait toujours été un havre de bonheur et de délices. Plusieurs examens au lycée – Eugénie était en terminale – ne s’étaient pas bien déroulés alors que le bac approchait. Une des matières dominantes de son cursus – les mathématiques – lui posaient depuis toujours d’insurmontables problèmes. Ils pouvaient lui coûter l’obtention du diplôme qui clôturait ses premières années d’études. Elle avait mis fin à une relation avec un garçon qui avait été aussi infidèle que menteur. Elle était attachée mais, depuis le début, le jeune homme se moquait d’elle et ne respectait en rien les sentiments qu’elle lui portait. Ses deux parents traversaient une période difficile sur le plan professionnel. Son père, avocat, venait de perdre une importante affaire, ce qui allait nuire à l’image de son cabinet. Sa mère, infirmière, risquait un procès pour une négligence qui avait sérieusement compliqué la situation d’un patient. Enfin, coiffant tout cela, suite à un déménagement, Eugénie venait de perdre sa meilleure amie, fille de militaire en constant déplacement. Marie était sa seule réelle complice, la seule qui la comprenait vraiment et qui savait l’écouter. Eugénie, avec ce départ, se retrouvait pour ainsi dire seule dans son lycée.

     « Il me faut dormir. »

     Elle articula cette courte phrase sans la prononcer puis se tourna vers la porte. La lumière du couloir lui fit cligner des yeux. Elle était trop crue, trop brute, trop réelle. En quelques pas, elle fut dans sa chambre. En quelques gestes, elle fit glisser son peignoir au sol – elle ne prit pas la peine de le ramasser – et se réfugia sous les draps. Rarement son lit lui avait semblé aussi réconfortant. Un sanctuaire, un havre de paix et de repos. La chaleur que son corps rapidement diffusa dans les draps l’enroba puis lui fit fermer les yeux d’aise. Elle s’endormit en un rien de temps, sans même avoir une pensée pour les jours qu’elle laissait derrière elle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Par Chevalier de Ferreol
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